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Guerrières figures de femmes

De l’art à l’auto-défense

Les guerrières de Flora Viguier (Tribu rouge) me semblent belles et fortes, et elles me touchent… Comme elles plaisaient aussi à toute ma petite famille, et comme Flora est aussi une amie, j’ai voulu écrire quelques mots à leur propos.

En ce début de XXIème siècle, on est encore bien bien loin du compte en matière de féminisme… de justice, de conscience et d’équilibre des sexes. Et, comme figures-types de la « féminité », on n’en est peut-être plus tout à fait réduit-e-s à la maman et à la putain, mais ça n’est pas encore trop brillant pour autant. Les archétypes de la bombasse ou de la fée prépubère ne bouleversent pas fondamentalement les rapports de genres (pas plus que l’accession d’un certain nombre de femmes de caractère aux rôles de pouvoir, qui n’a d’ailleurs rien de nouveau… certes il y a, en revanche, d’autres avancées réjouissantes de ce point de vue, mais ce n’est pas la question :^)

Il y a cependant une autre catégorie stéréotypée qui a émergé fortement, et qu’on rencontre un peu partout dans la culture contemporaine mais surtout dans les jeux vidéos ou la bande dessinée : des femmes pulpeuses déguisées en rambo, en chevalier ou en ninja… volontiers accompagnée de figures masculines malsaines (petit vieux pervers, bonshommes tordus, lutins lubriques), ou d’un super-mec-super-musclé qui parviendra quand même à la dompter, lui, « la dominatrice » comme on pourrait l’appeler n’abîme rien de la domination masculine. Figure fantasmatique créée le plus souvent par des hommes pour des hommes (ou des garçons) – dirait sans doute l’analyse socio-anthropologique sérieuse que je ne saurais mener – elle lui confère seulement d’autres nuances au goût (sado-maso et ultra-compétitif) du jour, et complexifie encore un peu le schmilblik de la construction des identités sexuées humaines.

Mais les guerrières dont je parle ici ne correspondent pas au stéréotype. Elles le rappellent pourtant de façon troublante : jeunes, nues, armées… Alors quoi ? Justement : elles jouent avec, le questionnent, le transforment et nous emmènent ailleurs.

D’abord, ces femmes là sont dessinées par une femme… mais ça, ça pourrait être juste un alibi, une ruse de (femme) sioux pour attirer la bonne fortune (masculine).
En travaillant à partir de silhouettes de muses actrices (et non de mannequins contemporains, « trop maigres et androgynes » pour l’artiste), Flora mélange les canons des catégories : pas de gros biceps chez ces guerrières-là, ni non plus de seins comme des obus, ni encore de méchants faciès. Parfois impressionnante, parfois narquoise, parfois triste, elles n’ont pas l’air de vouloir partir en guerre. Ça me donne l’impression que ce sont des femmes qui ont décidé de s’armer non pas parce qu’elles aiment spécialement se battre ou vaincre, mais simplement parce qu’il y a un territoire à défendre. Pas forcément au péril de sa vie, juste pas envie de se faire baiser sans rien dire.

Ok mais alors, pourquoi la nudité ? peut-être que c’est justement une part du territoire à défendre, ce corps si convoité. Pas le choix d’en avoir un autre, et pas toujours l’envie non plus de le cacher : elles l’assument, fièrement même pourquoi pas ? Peint pour la guerre, pour la séduction ou tout simplement peint pour faire joli ? Façon là aussi d’assumer et d’enrichir encore une beauté qui n’est pas exposée sans défense pour les appétits du premier mâle venu, mais qui peut être offerte aux dieux (ou à l’oiseau perché sur son épaule) autant qu’à un regard aimant.

Mise en abyme, cette peinture sur soi dans des peintures… de soi ? Car ces figures de la féminité ne sont-elles pas aussi autant d’auto-portraits ? Serait-ce alors ce qui leur donne alors cette sensibilité subtile, cette nuance ? Séduisantes mais non perverses, elles jouent avec cette tension (qui vaut pour les deux sexes quoique des millénaires de viols l’ait rendue plus douloureuse chez les femmes) : vouloir être aimé-e, désiré-e, épousé-e, mais non pas forcé-e, instrumentalisé-e, possédé-e.

Une fois elle songe et regarde ailleurs, comme si tu ne l’intéressais pas pour l’instant, parfois au contraire elle te regarde droit dans les yeux, comme si elle cherchait à savoir ce que tu veux (d’elle). Une fois elle se détourne et, comme si elle voulait que tu t’en ailles, elle te montre seulement son large bouclier – boucliers plus présents chez elles que les flèches et les lances. Une fois elle est blessée et te regarde d’un air difficile à interpréter : est-ce qu’elle se demande si tu as fais exprès ? Si elle peut te pardonner facilement ta violence ? Comment elle doit répondre à cette blessure dont elle semble avoir l’habitude et peu de souci d’ailleurs au fond, matériellement ?

Toutes, elles me questionnent en tout cas (en tant qu’homme) et m’inspirent à la fois le respect et le désir. En ce sens, je trouve que ces œuvres d’art sont aussi d’heureuses figures de féminité contemporaine – entre autres bien sûr. Alors Flora, je souhaite longue vie à tes guerrières ! Je serai heureux si tu poursuis l’ouvrage, dans ce mariage entre tes recherches plastiques et la question du genre.

Sur le même thème un chaleureux conseil de lecture : Non c’est non, petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire, par Irene Zeilinger, chez Marabout. Vivifiant et salutaire.

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